Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Carnets d'automne
16 mai 2012

Vita, châtelaine de Knole!

Elle aurait pu se contenter d'être un de ces riches rejetons de la grande aristocratie anglaise, dotée de ce mélange d'insolence et de hauteur qui caractérise cette caste qui, à l'entre-deux guerres, vivait à la fois sa plus haute prospérité et le début de sa décadence. Née dans un château ancestral qui contenait autant de pièces que de jours dans l'année, et autant d'escaliers qu'il y a de semaines dans la même, Vita Sackville-West se distingua très vite de ses congénères de caste par une grande liberté de moeurs: elle ne fit jamais secret de son amour des femmes, son saphisme ne choquait d'ailleurs guère une classe friande de scandales et de liberté dans tous les domaines, à l'exception de celui de l'honneur. Sa liaison avec la belle Violet Trefusis fit la une de toute la presse européenne, sa passion pour Virginia Woolf fut plus discrète, mais non moins affirmée, puisqu'elle fut l'objet d'un très beau roman de cette dernière, Orlando, sorte de déclaration d'amour littéraire qui ne trompa personne.

knole Knole 1 Le château de Knole

Mais Vita Sackville-West étendait cette liberté qu'elle prenait avec les moeurs - elle épousa un diplomate qui aimait les hommes, ce qui ne l' empêcha pas de mettre au monde deux fils - à sa carrière de femme de lettres. Privée de l'héritage du château de Knole en tant que femme, elle se consacra entièrement à la littérature, à la poésie, avec un poème, The Land, couronné du Prix Hawthornden en 1927, au roman, avec plusieurs livres, dont le plus célébré, et à juste titre, fut All passion spent (Toute passion abolie), imprégné de ce délicieux humour aristocratique anglais qui en fait tout le charme, et surtout au récit de voyage avec son superbe Passenger to Teheran. Ce récit, qui relate le long voyage qu'elle entreprit de Londres à Téhéran, où son mari venait d'être nommé secrétaire d'ambassade, en passant par l'Egypte, l'Inde et l'Irak, est celui d'une grande dame anglaise qui traverse ce qui est encore l'Empire Britannique sur tout son parcours, avec ce mélange de morgue et de curiosité qui agace parfois, notamment quand elle résume l'Inde à un réseau de rues et de personnages crasseux, mais qui enchante quand il s'agit de paysages ou de fleurs, dont la future propriétaire des jardins de Sissinghurst, jardins les plus visités d'Angleterre aujourd'hui, est friande, ou d'anecdotes amusantes et parfois cruelles sur la cour du nouveau Shah de Perse ou de l'émir d'Afghanistan.

Sissinghurst Les jardins de Sissinghurst, fondés par Harold et Vita Nicolson

Mais c'est sans doute dans sa correspondance que Vita  déploie toutes ses qualités littéraires, une correspondance qu'on a parfois comparée à celle de madame de Sévigné, dont Vita était une lectrice passionnée. C'est évidemment dans ses lettres à Virginia Woolf qu'elle se montre sous son meilleur jour. On y lit les hauts et les bas d'une passion amoureuse entre deux femmes dotées de qualités d'écriture exceptionnelles, deux femmes qui s'admiraient tout en respectant une hiérarchie de don que Vita reconnaissait à Virginia. Leur culture était vaste, elle englobait non seulement le domaine anglais mais, fait moins rare qu'on le pense, la littérature française, dont toutes deux étaient de grandes lectrices. Vita lut Proust, et elle en parle dans une lettre envoyée à Virginia Woolf du bateau qui l'emmenait en Inde, et ce qu'elle écrit n'est pas dénué d'intérêt: "Les réceptions de Proust gagnent en fantastique à être lues dans de pareilles circonstances, ( j'entends: non point dans son bain, mais sur le pont ) elles prennent du recul, elles se situent dans une perspective; elles deviennent presque historiques, tels ces banquets de Véronèse où volettent quelques silhouettes masquées de Longhi, s'ébouriffant sous la brise agitée et espiègle du Freud français". (1) Comparer, à propos des mondanités qui avaient lieu sur le navire, une soirée de madame Verdurin ou un bal de la princesse de Guermantes à un tableau de Véronèse, me paraît particulièrement bien vu et témoigne de sa vaste culture artistique. Vita Sackville-West, privée de Knole et de Virginia Woolf qui s'était donnée la mort en 1941, racheta un vieux donjon, celui de Sissinghurst où, en compagnie de son époux, elle planta et entretint ce qui allait devenir un des plus beaux jardins d'Angleterre. Il est amusant d'imaginer ce vieux couple qui s'était permis toutes les libertés, jusqu'à scandaliser toute l'Europe du grand monde, binette ou rateau en main, vêtu de tweed comme tout gentleman anglais qui se respecte, ratisser ses parterres et pouponner ses roses qui font la célébrité de Sissinghurst.

(1) "Vita Sackville-West  Virginia Woolf  Correspondance 1923-1941 " STOCK " Le Cosmopolite"  564 pages  24€

Les jardins de Sissinghurst, situés près d'Ashford, se visitent. Voir le site web pour plus d'info.

Publicité
Publicité
Commentaires
Carnets d'automne
Publicité
Archives
Albums Photos
Visiteurs
Depuis la création 114 449
Carnets d'automne
Publicité