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Carnets d'automne
26 juin 2012

Paul Claudel, le "Journal".

Dès les premières pages de ce Journal, le lecteur ressent une immense déception: car le texte consiste, pour une bonne part, en courtes notes composées en style télégraphique; l' amateur du style de Claudel ne peut être que désappointé. Ce n'est que lorsque l'écrivain s'abandonne à son âme de poète, notamment dans tous les textes, plus élaborés, qui décrivent la nature qui entoure Brangues ou celle de l'Isère, sa région de résidence qu'il parcourt longuement, ou quand il décrit des tableaux lors de ses nombreuses visites dans les musées de Hollande ou d'Espagne, que l'on retrouve le grand écrivain qu'est Claudel, et là c'est superbe et "vaut le voyage"! Faut-il pour autant refermer cet épais volume de souvenirs? Non, car on y apprend à connaître un homme qui est une force de la nature et qui fut un "maître" dans l'Europe de l'entre-deux guerres. Cet écrivain, grand bourgeois, châtelain de Brangues, ambassadeur de France à Tokyo, Washington et Bruxelles, fréquentait l'élite sociale et politique de l'Europe, on a peine à imaginer aujourd'hui l'influence que put avoir dans une Europe encore largement influencée par la culture et par la langue françaises, un homme, écrivain de surcroît, comme Claudel. Ce journal abonde en noms célèbres, qu'ils appartinssent au monde politique, artistique, religieux  ou aristocratique, dont Claudel fut un intime. L'homme n'était pas le genre à se confier dans ce type d'ouvrage dans lequel, contrairement aux mémoires, confessions ou journaux d'un Rousseau, d'un Gide ou d'un Julien Green, il veut garder les distances, ce n'est qu'inconsciemment que Claudel se dévoile, par ses humeurs, ses dégoûts, ses passions, et bien sûr, par sa foi, présente à toutes les pages sous forme de lectures de textes sacrés qu'il est permis de sauter allègrement. Rarement le physique d'un homme aura correspondu avec une telle intensité à son caractère: le corps de taille médiocre mais massif, la tête et le menton carrés, le regard intelligent et inquisiteur à la fois, c'est la silhouette taurine d'un fonceur, sûr de son bon droit et de sa foi, prêt à en découdre avec ceux qui ne la partagent pas, mais qui peut s'avérer d'une grande tendresse, particulièrement envers sa soeur Camille, le sculpteur, amante de Rodin, à la destinée tragique, moments particulièrement émouvants dans ce texte trop souvent agressif; ses dégoûts il les exprime avec violence: il déteste le protestantisme - il traite Luther de "porc de Wittenberg" - et le totalitarisme - il met Hitler et Staline dans le même sac, en quoi, en ce qui concerne ce dernier, il était en avance sur son temps - , ses goûts littéraires sont parfois curieux et choquants de la part d'un écrivain doté d'un tel talent: il traite Stendhal " d'idole des pions", Goethe de "grand âne solennel", le Bérénice de Racine "d'oeuvre distinguée et assommante", les Liaisons dangereuses "d'abominables", les romans de Bourget de " vestibule du sommeil",  l'Ulysse de Joyce d'"horrible et hideux", et l'oeuvre de Rilke de "molle et triste, qui ressemble à de la bière pas fraîche"!  Il déteste Gide, mais pour d'autres raisons que littéraires: son incapacité à l'avoir converti, la pédérastie de Gide et ses sympathies pour le communisme, font qu'il poursuivra de sa haine  ce "cadavre qui se met du rouge", comme il le nomme, ce qui ne l'empêchera pas d'entretenir avec lui une passionnante correspondance. Ce conservateur a, étonnamment, des goûts d'avant-garde en musique: il fréquente et admire Darius Milhaud, qui mettra en musique les Choéphores et les 2 cités,  Arthur Honegger et Paul Hindemith, qui écrira la partition de son Cantique. On aura compris qu'avec Claudel il faut faire son deuil de toute compromission, de toute nuance, ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse; sa force, car son oeuvre théâtrale est faite de cette puissance, de cette certitude qui font les grandes âmes: son théâtre est imprégné d'une spiritualité qui doit beaucoup aux grands mystiques espagnols. Sa faiblesse, car obnubilé par sa foi, il condamne trop vite ce qui lui échappe ou qui refuse sa vision toute chrétienne du monde. Cette force de la nature qu'est Claudel nous séduit encore aujourd'hui, peut-être parce que, contemporains d'une société qui a abandonné la hiérarchie des valeurs, une telle force de conviction ne peut que séduire. Et puis, Claudel est après tout un tout grand écrivain, un des derniers grands écrivains de théâtre, sonSoulier de satin,représenté dans son intégralité, est digne des grandes tragédies grecques. Poète, homme de théâtre, Claudel est aussi un des plus grands maîtres de la langue française, en cela il est proche de Gide, ce dernier toutefois plus austère, plus protestant, plus rigoureux dans son classicisme, à l'opposé du catholicisme conquérant et baroque de Claudel.

claudel_a_brangues_1952

 

 

 

 

 

 

 

 Claudel à son château de Brangues.

 

" Journal II 1933-1955" Paul Claudel   Editions Gallimard "Bibliothèque de La Pléiade"

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Commentaires
M
Bonjour,<br /> <br /> L’intérêt que vous portez à Staline (et peut-être aux preuves des crimes qui lui sont ordinairement attribués) me détermine à vous indiquer l’étonnement qui est le mien à lire, avec la plus grande attention, « Les origines du totalitarisme » d’Hannah Arendt. Vous en trouverez la marque dans :<br /> <br /> http://crimesdestaline.canalblog.com<br /> <br /> Très cordialement à vous,<br /> <br /> Michel J. Cuny
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