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Carnets d'automne
18 juillet 2012

Marcel Proust & Reynaldo Hahn: correspondance

La correspondance de Proust a fait l'objet, il y a longtemps déjà, d'une édition extensive et complète en plus de 20 volumes, dite l'édition Kolb; l'édition des lettres à Reynaldo Hahn dont il est question ici a le mérite de créer une atmosphère plus intime, puisque il s'agit d'une correspondane à un ami qui fut aussi un amant, et qu'il existe dans cette correspondance un rythme, une atmosphère, qui s'expriment dans un vocabulaire souvent fantaisiste que les deux amis s'étaient réservé pour leur seule correspondance. Il y a donc une unité de ton et de fond qu'on ne retrouve pas dans les correspondances générales. Proust fit la connaissance de Reynaldo Hahn en 1894, ils seront amants jusqu'en 1896,  mais resteront liés par une tendre amitié jusqu'à la mort de Proust. Comme dans toute correspondance, ces lettres ne sont pas d'un intérêt égal, mais on y trouve de belles pages qui annoncent le chef-d'oeuvre de Proust, comme ce portrait de Madame de Rezké qui sera un jour l'Oriane de Guermantes de la Recherche: "Non, Madame de Rezké pour moi, c'est Viviane, la féerique apparition, au seuil de la forêt de Brocéliande et du Lac d'Amour dont le visage adorable et les yeux de songe enchantent les légendes de Burne Jones. Figures qui paraissent trop conventionnelles dans l'art pour être "crues" par qui les regarde dans Burne Jones ou dans Gustave Moreau, mais que la nature réalise une fois pour montrer qu'une beauté si "artistique" peut être vraie. Ainsi Madame de Rezké, sans doute autrefois Sarah Berhardt. Dans une certaine mesure Mme Greffulhe*. Mais seule Madame de Rezké est la créature de songe, qui dépasse infiniment la beauté que nous nous sommes faite avec la Bretagne, mais qui doit être  la vraie beauté de Cornouailles, celle que ses poètes seuls ont vue, celle de Viviane encore une fois, celle d'Iseult, d'Iseult qui errait mélancolique et dédaigneuse d'une destinée princière, jusqu'au jour où elle entendit la voix de Tristan". (1) On y découvre aussi les goûts artistiques de Proust, qui sont ceux de son monde, celui de la grande bourgeoisie, et de son temps, la Belle Epoque, des goûts somme toute assez conventionnels, surtout en peinture: Le Sidaner, cité jusque dans l'oeuvre, était un peintre post-impressionniste de second rang, il ne faut pas oublier, et on croit rêver en se le rappelant, que Proust était contemporain de Picasso, de Braque, de Juan Gris -  les Demoiselles d'Avignon, de Picasso, oeuvre révolutionnaire, datent de 1906-1907 - or, le cubisme est totalement ignoré par Proust. En musique, mis à part Reynaldo Hahn, dont il admire l'oeuvre en amant plus qu'en réel admirateur d'une musique qui n'est qu'une distinguée musique de salon, ses goûts sont, là aussi, ceux de son monde: Wagner, Fauré, Bizet, Lalo, il cite le Pelléas de Debussy, mais avec des réserves, dans un style bien à lui: " Mais à côté de cela, par exemple, quand Pelléas sort du souterrain sur un "Ah! je respire enfin" calqué de Fidelio, il y a quelques lignes imprégnées de la fraîcheur de la mer et de l'odeur de roses que la brise lui apporte. Cela n'a rien d' "humain" naturellement mais est d'une poésie délicieuse, quoiqu'étant, autant que je puis supposer par comparaison, ce que je détesterais le plus si j'aimais vraiment la musique, c'est à dire n'étant qu'une " notation" fugace au lieu de ces morceaux où Wagner expectore tout ce qu'il contient de près, de loin, d'aisé de difficile sur un sujet." (2) En littérature, Proust est plus audacieux, il lit de la bonne littérature anglaise et les grands classiques de la littérature française, mais aussi des contemporains, tel Mallarmé, qui nous vaut une réflexion particulièrement brillante sur le poète le plus secret de la littérature française: "Pourtant puisque cela amuse mon petit Kunst * de me voir patauger et puisqu'il s'intéresse à tout ce qui vient de Mallarmé, je lui dirai, de ce poète en général, que ses images obscures et brillantes sont sans doute encore les images des choses, puisque nous ne saurions rien imaginer d'autre, mais reflétées pour ainsi dire dans le miroir sombre et poli du marbre noir. Ainsi dans un grand enterrement par un beau jour les fleurs et le soleil brillent à l'envers et en noir au miroitement du noir. C'est pourtant toujours le "même" printemps qui "s'allume" mais c'est un printemps dans un catafalque". (3) Les plus de 200 lettres de cette correspondance ( on n'a pas retrouvé les lettres postérieures à 1915) sont, comme toujours, d'un intérêt inégal, mais elles permettent, par l'unité qu'elles créent grâce à cette relation tout à fait particulière qu'elles illustrent, d'imaginer un Proust plus humain, plus proche de nous, et surtout, d'assister, à travers des portraits, des souvenirs, des relations d'événements mondains, à la lente émergence de ce qui deviendra un jour la Recherche. 

Proust

Reynaldo Hahn

 

 

 

 

 

 

 

Marcel Proust                                                                                                                                                                   Reynaldo Hahn              

        "Lettres à Reynaldo Hahn" Marcel Proust  - EDITIONS SILLAGE -  284p  23,50€

* La comtesse Greffulhe a toujours été considérée comme le principal modèle d'Oriane, duchesse de Guermantes.

* "Kunst" est un parmi les nombreux petits noms dont Proust affublait Reynaldo

(1) Op.cité p.147   (2) idem p.215  (3) idem p.70

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Commentaires
A
bel article. Me permettez-vous de le citer dans le cadre d'un article à paraître en septembre prochain sur Proust et la musique? Merci<br /> <br /> ApolK
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