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Carnets d'automne
19 juillet 2012

A propos de l'Albertine de Proust

Albertine est sans doute le personnage central de toute la Recherche - il est au centre de deux des huit tomes de la Recherche - et celui dont les exégètes proustiens, dans leur acharnement à déchiffrer les soi-disant "clés" de l'oeuvre, ont tenté de rétablir son identité. Tout cela au mépris de l'avertissement de Proust lui-même qui mettait en garde contre tout mélange entre la biographie et l'oeuvre, exégètes qui auraient d'ailleurs pu s'épargner tout ce travail de recherche, il leur suffisait de lire la lettre, particulièrement éclairante sur le thème majeur de son roman, celui de la jalousie et de la mort de l'être aimé et de son origine, que Proust envoya à Reynaldo Hahn fin octobre 1914:

                                                          14_Cabourg_98

" Mon cher petit vous êtes bien gentil d'avoir pensé que Cabourg aurait dû m'être pénible à cause d'Agostinelli*. Je dois avouer à ma honte qu'il ne l'a pas été autant que je l'avais cru et que ce voyage a plutôt marqué une première étape de détachement de mon chagrin, étape après laquelle heureusement j'ai rétrogradé une fois revenu vers les souffrances premières. Mais enfin à Cabourg sans cesser d'être aussi triste ni d'autant le regretter, il y a eu des moments, peut'être (sic) des heures, où il avait disparu de ma pensée [...] J'aimais vraiment Alfred. Ce n'est pas assez de dire que je l'aimais, je l'adorais. Et je ne sais pourquoi j'écris cela au passé car je l'aime toujours. Mais malgré tout, dans les regrets, il y a une part involontaire et une part de devoir qui fixe l'involontaire et en assure la durée. Or ce devoir n'existe pas envers Alfred qui avait très mal agi avec moi, je lui donne les regrets que je ne peux faire autrement que de lui donner, je ne me sens pas tenu envers lui à un devoir comme celui qui me lie à vous, qui me lierait à vous, même si je vous devais mille fois moins, si je vous aimais mille fois moins. Si j'ai donc eu à Cabourg quelques semaines de relative inconstance, ne me jugez pas inconstant et n'en accusez que celui qui ne pouvait mériter de fidélité. D'ailleurs j'ai eu une grande joie à voir que mes souffrances étaient revenues; mais par moment elles sont assez vives pour que je regrette un peu l'apaisement  d'il y a un mois. Mais j'ai aussi la tristesse de sentir que même vives elle sont peut'être (sic) moins obsédantes qu'il y a un mois et demi ou deux mois. Ce n'est pas parce que les autres sont morts que le chagrin diminue, mais parce qu'on meurt soi-même.* Son ami ne l'a pas oublié, le pauvre Alfred. Mais il l'a rejoint dans la mort et son héritier, le "moi" d'aujourd'hui aime Alfred mais ne l'a connu que par les récits des autres. C'est une tendresse de seconde main. [...] Si jamais je veux formuler de telles choses ce sera sous le pseudonyme de Swann. D'ailleurs je n'ai plus à les formuler. Il y a longtemps que la vie ne m'offre plus que des événements que j'ai déjà décrits. Quand vous lirez mon troisième volume qui s'appelle en partie A l'ombre des jeunes filles en fleurs, vous reconnaîtrez l'anticipation et la sûre prophétie de ce que j'ai éprouvé depuis". (1)

* Alfred Agostinelli était le chauffeur de Proust qui en tomba follement amoureux, un amour qui ne fut pas réciproque. Le départ d'Agostinelli et sa mort dans un accident d'avion en 1914 firent beaucoup souffrir Proust.

* C'est moi qui souligne

(1) "Lettres à Reynaldo Hahn"  Marcel Proust - EDITIONS SILLAGE -  p. 274 & 275

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