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Carnets d'automne
23 juillet 2012

Jean-Jacques Rousseau, ennemi des arts et des sciences ? ( suite et fin)

Georges Gusdorf, dans son passionnant essai sur le Siècle des Lumières, Les principes de la pensée au Siècle des Lumières * nous donne une explication intéressante sur cette hostilité entre Rousseau et Voltaire, hostilité qui va beaucoup plus loin qu'une simple inimitié entre personnes, puisqu'il s'agit de l'incompatibilité totale entre deux visions du monde, dont le texte de Rousseau ne constitue qu'une première approche: "La thèse de Rousseau n'était pas neuve; la critique de la civilisation est aussi ancienne que la civilisation elle-même. Mais l'éclat du style et la véhémence de la pensée devaient assurer au Discours sur les Siences et les Arts un vaste retentissement à travers l'Europe des Lumières. Au courant de pensée novateur, représenté par Mandeville, Voltaire et l' Encyclopédie, s'oppose l'attitude passéiste des nostalgiques de la simplicité initiale, Fénelon, Rousseau et tous ceux qui sont sensibles à leur revendication. [...] Le débat, dès lors, semble opposer deux mythes antagonistes, et également irréels. Le mythe progressiste de l'abondance évoque le droit à la consommation, considéré comme un des droits de l'homme dans une démocratie économique [...] le mythe opposé est celui de l'austérité, considérée sous les dehors flatteurs des petites sociétés proches de la nature, le mythe de l'âge d'or ou du bon sauvage qui, faisant de nécessité vertu, se contente allègrement du minimum vital.[...] Le débat du luxe atteste que le XVIIIe siècle a pris conscience de l'alternative entre le thème progressiste de la civilisation de l'abondance industrielle et le thème régressif du naturalisme archaïsant. Le romantisme assurera le triomphe momentané de la nature sur la technique, mais les économismes et les socialismes, considérant comme inéluctable l'avènement du nouveau milieu technique, s'efforceront d'assurer une plus égale répartition des biens matériels". (1) Et Gusdorf de conclure: "Celui qui n'est pas capable de s'adapter au monde réel se crée des mondes illusoires pour y vivre en rêve un bonheur consolant". (2) Cette dernière citation éclaire, si besoin en était, la position de Gusdorf, qui est d'autant plus intéressante, que non seulement elle clarifie les thèses des uns et des autres, de Rousseau, de son texte sur les Sciences et sur les Arts, et de ses opposants, menés par Voltaire, mais qu'elle souligne aussi l'actualité du problème posé par les uns et les autres: en effet, aujourd'hui nous avons une frange de plus en plus large de la population, menée par les écologistes et un grand nombre d'ONG, qui, face à la consommation à outrance et aux dégâts à notre terre qui s'ensuivent, prônent le retour à une vie plus simple et plus proche de la nature; s'y opposent ceux qu'on appelle les néolibéraux ou conservateurs qui croient dans le progrés technologique et économique à tout crin, une opposition qui ne date pas d'hier, l'exemple pris dans le Siècle des Lumières souligne l'inquiétude et les hésitations de la Société face à l'évolution du monde. Ce qui jette un éclairage nouveau et des plus actuels sur le texte de Rousseau et les objections nombreuses qu'il souleva.

*  " Les sciences humaines et la pensée occidentale IV : Les principes de la pensée au Siècle des Lumières"  Georges Gusdorf  - PAYOT - 1971  550p

Georges Gusdorf, professeur à l'université de Strasbourg, est également l'auteur d'un passionnant ouvrage en 2 volumes sur le "Romantisme" dans tous ses aspects, paru plus récemment chez le même éditeur.

(1) ( 2) Op. cité p.460 & 461

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