Maeterlinck, l'oublié!
Il suffit parfois d'un banal entrefilet dans la presse pour renouer avec un auteur qu'on avait perdu de vue, c'est ce qui m'est arrivé récemment en apprenant par le journal Le Monde que le "Palais Maeterlinck" à Nice avait été vendu pour 48 millions d'euros à un investisseur tchèque. Qui lit encore Maeterlinck aujourd'hui? Fussé-je le seul, je me suis replongé dans son recueil de poèmes, Les serres chaudes, qu'Ernest Chausson a si joliment mis en musique. Brillant représentant du symbolisme, Maeterlinck, à l'image de Mallarmé, joue dans ces poèmes allégoriques sur la suggestion par les seuls mots, leur rythme, leur musicalité, indépendamment de leur sens et de leur place dans la phrase, on est là à mille lieues de la poésie mondaine et au parfum fané des Hortensias bleus de Robert de Montesquiou, contemporain de Maeterlinck, et modèle du Charlus de la "Recherche" de Proust, que pourrait évoquer une oeuvre dite "de la Belle-Epoque". Mais Maeterlinck fut avant tout un homme de théâtre; qui ne connaît, même sans l'avoir jamais lu, son Pelléas et Mélisande, dont Debussy fit sa plus belle oeuvre musicale dans un opéra éponyme dont Lucien Rebatet, qui détestait l'oeuvre de Maeterlinck, mais en avait saisi toute l'étrangeté, disait : "Par des moyens purement musicaux, par le dépaysement tonal, Pelléas élevait surtout à la vraie poésie l'esthétisme cotonneux des princesses lointaines, des mélancolies crépusculaires, des vierges préraphaélites liliales et langoureuses. A cette mode gothique du flou, du gothique falsifié, Debussy restituait un charme mystérieux, une fraîcheur qui alla droit au coeur de la jeunesse". (1) Rompant avec le naturalisme, Maeterlinck met en scène des personnages immobiles, hiératiques, qui subissent la vie comme une tragédie, comme une fatalité. Femmes rêveuses, absentes, totalement indifférentes au monde, ouvertes à l'inconnu, mais le subissant comme une tragique fatalité, les princesses de Maeterlinck évoquent les femmes des tableaux de Fernand Khnopff, le grand maître du symbolisme en peinture. On connaît par la "Recherche" de Proust les Sept Princesses, que Proust introduisit dans son oeuvre pour ridiculiser le snobisme intellectuel et la bêtise mondaine de la duchesse de Guermantes, mais L'oiseau bleu fut sans doute l'oeuvre théâtrale la plus célèbre et la plus célébrée de Maeterlinck: jouée dans le monde entier, souvent dans sa langue d'origine, que ce fût à Paris, à New-York, à Moscou, à Londres ou à Saint-Pétersbourg, à une époque où la langue française était encore Lingua franca des élites, elle fit aussi de son auteur un Prix Nobel, anobli par le Roi des Belges, un millionnaire qui se fit construire à Nice la Villa Orlamonde, véritable palais où se déroulèrent des soirée dignes d'un maharadja, que vient d'acquérir ce milliardaire tchèque, et qui fut l'occasion pour moi de redécouvrir, avec un plaisir gourmand, non seulement l'oeuvre de Maeterlinck, mais aussi celle de Debussy et d'Ernest Chausson qu'elle inspira.
La Villa Orlamonde, à Nice, aujourd'hui Palais Maeterlinck
Oeuvre de Fernand Khnopff
(1) " Une Histoire de la musique" Lucien Rebatet ROBERT LAFFONT " Bouquins" p.642