Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Carnets d'automne
19 novembre 2012

Avec André Gide et Oscar Wilde à Berneval-sur-mer!

19 juin 1897 *

Ce jour-là, André Gide se rend, depuis Cuverville, ou depuis Paris, on ne le sait avec certitude, à Berneval-sur-mer, près de Dieppe, où réside Oscar Wilde. Celui-ci vient de sortir de prison où il a passé deux années. Affaibli, humilié, celui qui, hier encore, était la coqueluche du Tout-Londres, n'est plus qu'un homme perdu, que la colonie anglaise, nombreuse à Dieppe, refuse de saluer ou tout simplement de reconnaître. Wilde qui n'a plus qu'un désir, se faire oublier dans un endroit perdu, isolé, et Berneval-sur-mer ne pouvait mieux lui convenir: cette modeste station balnéaire située à l'extrémité d'une petite valleuse, dans une sorte de cul-de-sac qui domine, du haut d'une falaise crayeuse, une minuscule plage de galets qu'on atteint par deux escaliers d'une centaine de marches creusées dans des anfractuosités de la falaise, est particulièrement triste et sinistre dans sa solitude pluvieuse et venteuse. Le bourg est pauvre, Wilde a trouvé refuge dans l'unique hôtel du lieu, L'Hôtel de la Plage.

Roscoff 337

 

 

 

 

 

La plage de Berneval-sur-mer  (Photo: Nekki )

 

Il est absent quand Gide arrive sur place, et ce dernier l'attend en se promenant longuement sur la plage. Finalement, lassé et transi, car le temps est à la pluie, il s'inscrit à l'hôtel où il s'installe. C'est vers 11 heures du soir que Wilde arrive enfin. Il trouve Gide lisant, assis près de la cheminée du salon. Gide a peine à reconnaître dans cet homme bouffi, à la peau rouge et tavelée, et aux doigts boudinés, le beau play-boy de jadis, le tentateur d'Alger, qui jouissait à l'époque d'une gloire et d'une célébrité mondiales. Mais sa politesse est intacte, et son esprit toujours aussi brillant. On ignore tout de leur conversation, qui dut être essentiellement littéraire - Wilde admirait l'oeuvre de Gide, qui remarqua la présence de ses Nourritures terrestres parmi les quelques livres disposés sur une table - ou peut-être évoquèrent-ils leurs souvenirs d'Afrique du Nord. Peut-être Wilde évoqua t-il son dernier livre, qu'il allait écrire dans ce lieu solitaire, La Ballade de la geôle de Reading, son oeuvre la plus poignante. Il fit part à Gide de la leçon d'humilité et de pitié qu'il retenait de son emprisonnement. Il parla même de se convertir. Le lendemain matin il accompagna Gide dans sa voiture attelée depuis tôt le matin jusqu'à la sortie du bourg, où ils se quittèrent pour toujours. Oscar Wilde devait mourir dans un modeste hôtel de Paris, l'hôtel d'Alsace, deux ans plus tard, dans la plus profonde misère.

16 novembre 2012

Berneval-sur-mer n'est guère facile à trouver, il me faudra me renseigner auprès de quelques rares passants pour comprendre que la plage de Berneval-sur-mer est en fait située à St Martin-plage qu'on atteint depuis les hauteurs où est située Berneval, et ce par une route étroite et pentue qui traverse un grand bois de hêtres, particulièrement somptueux dans leur parure vieil or en cette belle journée ensoleillée de fin d'automne. La route en cul-de-sac débouche sur un bourg formé de quelques modestes pavillons sans beauté, disposés sur une colline. Un espace gazonné, situé au sommet de la falaise, domine la mer. Quelques bancs y sont disposés. Deux escaliers raides, d'une centaine de marches creusées dans des anfractuosités de la falaise, mènent à la plage de galets qui est inaccessible à marée haute. Plage modeste, triste, qui ne donne guère envie, n'y de s'y étendre, n'y de s'y baigner. A quelques centaines de mètres de la plage on aperçoit une jetée de blocs de pierre qui s'avance en mer, elle signale la présence de la centrale nucléaire EDF de Penly, heureusement cachée par une avancée de la falaise. Après une brève promenade sur le bout de plage dégagé par la mer descendante, je remonte sur l'espace gazonné et m'installe sur un des trois bancs mis à la disposition du promeneur sur le sommet de la falaise. Mais ce n'est pas, pour l'instant du moins, la vue de la mer qui m'impressionne ou qui me fascine, c'est la modestie des lieux, l'impression de tristesse, de solitude qui se dégage de ce lieu perdu, de ce cul-de-sac sans beauté, d'où l'Hôtel de la Plage a depuis longtemps disparu pour faire place à ces pavillons que j'imagine occupés par des travailleurs de la centrale nucléaire voisine; absence qui ne m'empêche pas de ressentir à la fois pitié, compassion et amitié pour cet être déchu, avili par une société hypocrite et cruelle, et qui trouva en ce lieu désolant son dernier refuge pour y écrire, avant de mourir, sa plus belle oeuvre. Le Berneval-sur-mer d'Oscar Wilde et d'André Gide n'est plus, mais le lieu est encore, dans sa poignante solitude sans beauté, tout empreint du destin tragique de l'auteur du Portrait de Dorian Gray.

* Ce récit de la journée du 19 juin 1897 est librement interprété de celui  conté par Frank Lestringant dans sa magistrale biographie de Gide, " André Gide l'inquiéteur", parue chez Flammarion en 2 tomes. On le retrouvera dans le Tome I pages 332 à 334.

Publicité
Publicité
Commentaires
Carnets d'automne
Publicité
Archives
Albums Photos
Visiteurs
Depuis la création 114 449
Carnets d'automne
Publicité