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Carnets d'automne
20 décembre 2012

Chateaubriand vu par Gide!

Chateaubriand

"Repris encore une fois les  Mémoires d'outre-tombe, pour retrouver toujours les mêmes motifs d'admiration pour le prestigieux artiste, et d'exaspération pour l'acteur qui sans cesse se campe à son avantage et ni ne trébuche ni jamais ne se fait défaut. Comme il se préoccupe sans cesse de l'effet qu'il prétend produire, la signification de ses gestes et de ses paroles se limite à cet effet même. Il m'enlèverait le goût de vivre, si la vie ne devait être que cette vaniteuse parade avec l'avant-goût constant de la mort. La religion, il va sans dire, n'a pas de mal à s'établir sur cette effroyable vacance et sur ce taedium vitae; la croix n'a pas de mal à se dresser, dès qu'elle est la  Spes unica. Enfin cet amour des tombeaux, cette commémoration incessante, ces rappels d'un passé défunt, cet ennui poétique bâillant et s'étirant à travers tout, me font applaudir davantage à l'éloge de l'oubli historique si admirablement chanté par Nietzsche...".(1) L'agnostique* qu'était Gide ne pouvait évidemment en rien s'accorder avec le catholicisme dogmatique de l'auteur du Génie du christianisme, ajoutons que le gourmand de la vie et de ses plaisirs qu'était Gide l'opposait absolument au pessimisme funèbre de Chateaubriand, la devise de Gide, "passer outre" aurait déplu au conservateur qu'était le grand maître du romantisme littéraire français. Seul l'amour, pour ne pas dire la passion et le génie de la langue devraient unir ces deux plus grands écrivains de langue française, si on s'attache à la beauté du style, ce qui, selon Gide, faisait l'essentiel d'une oeuvre littéraire. Et pourtant, là encore des divergences se font jour, Gide n'aimait guère l'emphase, il appréciait le classicisme d'un Racine, d'une marquise de Sévigné ou d'un Bossuet, ou la rigueur, à la limite de la sécheresse, d'un Stendhal; voilà ce qu'il écrit à propos du style de Chateaubriand, qu'il oppose à celui de Stendhal, et ceci à propos des Cahiers de Montesquieu: Le tout d'une écriture toujours virile; non tant alerte qu'assurée, assez semblable parfois à celle du cardinal de Retz, et je ne crois pas qu'il en soit que je préfère; plus dense, plus musclée que celle de Stendhal, et près de quoi tous les Chateaubriand paraissent adipeux, poisseux et survêtus." (2)

Gide

Quelques pages plus loin, toujours dans ce même Journal, il reconnaîtra cependant: " Ce contentement extrême que donne le style de Chateaubriand dans ses meilleurs moments, je ne l'ai jamais ressenti plus vif que dans sa Vie de Rancé dont j'achève le premier chapitre avec ravissement." (3) Gide se reconnaissait dans ce qui constitue l'ouvrage de Chateaubriand le plus proche de ce "Grand Siècle" vénéré par Gide, à la fois par son sujet et par son style. Les deux grands écrivains se retrouvaient autour de ce grand ascète du" Siècle de Louis XIV", ce qui n'était pas pour déplaire au protestant d'éducation qu'était Gide!

(1) "Journal 1939-1949" André Gide  GALLIMARD "Bibliothèque de La Pléiade" p. 59

(2) Ibid. p.88

(3) ibid. p 111

* Le terme "agnostique" correspond à ce qu'était Gide au début de sa carrière littéraire, lui qui n'avait jamais caché, ni ses inquiétudes religieuses, ni sa passion pour le Christ, tout en reniant depuis toujours l'Eglise, telle que l'établit Saint Paul. Avec le temps cependant il devait évoluer vers un athéisme plus radical. Les tentatives infructueuses de Claudel de le convertir, la conversion de son ami Ghéon, le catholicisme assez mièvre d'un Francis Jammes ou d'un Péguy furent sans doute pour quelque chose dans son évolution.

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