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Carnets d'automne
29 janvier 2013

Marguerite Duras vue par Marguerite Duras!

Marguerite Duras

Marguerite Duras, on l'adore ou on la déteste! Il n'est pas sûr que l'entretien qu'elle a accordé à Leopoldina della Torre en 1989 changeât la chose ! Véritable "Reine des lettres" de "l'ère Mitterand", ses paroles et ses écrits sont reçus comme le furent dans l'antiquité les oracles de la Pythie de Delphes! Je dis que rien ne changera, car ceux qui la détestent ne changeront pas d'opinion à la lecture de ces textes parfois agressifs, et ceux qui l'adorent la retrouveront telle qu'ils l'aiment. Agressive, elle l'est, envers les écrivains contemporains; Michel Butor, Alain Robbe-Grillet*, Nathalie Sarraute, tout le "Nouveau roman" qu'elle trouve ennuyeux - oubliant sans doute qu'elle publie chez "Minuit", l'éditeur du "Nouveau Roman" -  ce dédain serait-il dû à une sorte de hargne de n'en avoir pas fait partie: " Qui les lit? Je les soupçonne d'être ennuyeux, des gens comme Butor, après  La Modification je crois qu'il avait peu à dire. Et puis, écoutez, ces gens-là, je crois, ne me supportent plus. Il sont envieux, comme la plupart des critiques qui s'insurgent chaque fois que j'interviens dans les journaux ou que j'apparais à la télévision...(1); Sollers "est trop limité" (2) quant à Camus: "Je vous l'ai dit, les contemporains m'ennuient. Dans la plupart des cas. Je devinais que ses livres avaient été construits de la même manière, selon le même artifice, la même visée moralisante. La seule idée qu'on puisse penser la littérature comme un moyen d'étayer une thèse m'assomme" (3); Sartre " est la raison du si regrettable retard culturel et politique de la France" (4). Mais le comble est atteint quand elle évoque Marguerite Yourcenar, sa grande concurrente contemporaine, ce qu'elle en dit est un petit bijou de malveillance et de jalousie: " Yourcenar siégeait à l'Académie Française. Moi non. Quoi d'autre? Les Mémoires d'Hadrien sont un grand livre: le reste, à partir des Archives du Nord, me semble illisible. Je l'ai abandonné à la moitié. Parfois, dans la rue, on me prenait pour elle. Vous êtes bien la romancière belge? Oui, oui, je répondais, et je filais" (5). Mais Duras, il ne faut pas l'oublier, était une grande lectrice, principalement d'auteurs du passé - ils ne la gênaient sans doute pas dans sa soif de domination du monde littéraire français - Benjamin Constant, Musil, Madame de La Fayette, Faulkner, Rousseau, Melville, Jules Renard, elle écrit d'ailleurs des choses superbes sur La Princesse de Clèves: J'ai retrouvé La Princesse de Clèves, toujours lu trop vite. C'est un livre très beau, que je voudrais avoir écrit. Son extraordinaire modernité tient justement dans ce jeu paroxystique des regards qui se croisent sans jamais se rencontrer, de ces paroles qui s'échangent sans jamais les prononcer vraiment, et de ces silences interminables où, en réalité, se dissimule la profondeur indicible de la vérité, comme dans tout amour" (6). Mais ses jugements provocateurs ne se limitaient pas aux écrivains, cinéaste elle-même, auteure du scénario du grand classique qu'est l'Hiroshima, mon amour d'Alain Resnais, elle ne cache pas sa détestation des films de Pasolini: " J'ai toujours été agacée par cette aura de mysticisme et toute la rhétorique qui entoure son personnage. Quant à Salo je l'ai trouvé franchement révoltant". (7); ou même de Woody Allen " qui a l'obsession de la parole" ou encore de Bergman: " Je comparais l'amour que j'ai pour le sublime tragique de Dreyer avec l'intolérance que j'éprouve pour l'esthétisme cérébral à la Bergman. Toute une singerie  destinée aux Américains qui désirent satisfaire leur insatiable faim de "culture" ( 8), cette dernière affirmation tellement révoltante pour tout cinéphile, que la journaliste, Leopoldina della Torre, qui interroge Duras, se croit obligée d'introduire une note à ce propos: " Cette position radicale et à vrai dire caricaturale ne reflète probablement pas le rapport des deux créateurs qui ont de nombreux points communs, souvent soulignés dans des études universitaires. L'ignorance que Duras professe ici à l'égard de Pasolini n'a sans doute pas toujours été aussi nette. {...} De même, plus loin, sa condamnation péremptoire et sans appel de Bergman peut sembler aberrante. Ou son diktat, qui n'est pas peu paradoxal venant d'elle, contre la parole au cinéma" (9). C'est la Duras qui agace par ses jugements péremptoires, mais il y a une autre Duras, l'auteure du Barrage contre le Pacifique" et de L'amant, la femme qui analyse le phénomène de l'amour, qu'il fût celui de la mère ou de l'amant, avec une sensibilité qu'elle n'accorde qu'aux femmes, ce qui lui fait dire: " Elles sont victimes des passions qui les traversent - comme quand, du fait de l'amant chinois, je me suis mise à mentir à ma mère -, déchirées par le dédoublement d'une personnalité qui leur échappe, avant toute chose, j'ajouterais la faculté d'affronter jusqu'au bout l'expérience de la douleur sans s'en faire anéantir." (10), ou encore, faisant référence au roman de madame de La Fayette: " Au lieu de l'exclure ou d'en craindre l'ambiguïté, la femme traduit, englobe l'intégrité même du silence dans la parole qu'elle prend". (11) C'est cette Duras-là qu'on aime ou qu'on admire! On l'aura compris, ce livre d'entretiens n'apprendra rien de nouveau à l'admirateur de Marguerite Duras, sinon la confirmation de leur admiration pour une femme d'une brillante intelligence et sans aucun doute d'un immense talent d'écrivain, à tous ceux qui détestent ses oracles, qui trouvent ses romans et ses films d'un incommensurable ennui, ce livre ne les fera sans doute pas changer d'avis, même si quelques brillants aperçus sur le rôle de la femme en littérature et dans l'acte amoureux, pourraient atténuer quelque peu leur aversion.

" La passion suspendue - Marguerite Duras"  Entretiens avec Leopoldina Pallotta della Torre  SEUIL  187p. 17€

(1) p.87  (2) p.84  (3)(4)(5) p.88  (6) p. 96  (7) p.118  (8) p.118  (9) p.179  (10) p.151  (11) p.150

* Dans un entretien ultérieur avec Irène Frain, publié par Lire, juillet-août 2000, Robbe-Grillet dira: " Au départ, c'était une femme drôle, vive, chaleureuse. Sur le tard, elle est devenue ce personnage gonflé d'orgueil qu'on a souvent décrit. Tout écrivain normal doit être persuadé qu'il est le plus grand. Marguerite Duras n'échappait pas à la règle; simplement, il lui était impossible d'imaginer que d'autres écrivains qu'elle l'étaient également...".  ibid. p. 171

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Commentaires
M
Assez profane à ce propos, votre commentaire m'est par conséquent apparu comme très instructif.
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