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Carnets d'automne
8 février 2013

Stendhal, à propos d'une relecture du "Rouge et le Noir"

Stendhal

Stendhal a dit à propos de son oeuvre qu'elle ne serait lue que cent ans après sa mort, et qu'elle le serait par un cercle restreint de happy few. Sur le premier point il a eu tort, par contre, il est vrai que les lecteurs de Stendhal forment une sorte de société secrète d'amateurs, ou plutôt de passionnés d'une oeuvre et de son auteur, phénomène rare dans le domaine de la littérature, car si il y a beaucoup de connaisseurs et d'amateurs de Chateaubriand, de Flaubert, de Proust, de Gide ou de Céline, c'est à l'oeuvre plutôt qu'à l'auteur que s'adresse cette admiration, alors que dans le cas d'Henri Beyle, la passion pour l'oeuvre est intimement liée à la profonde amitié que l'on ressent pour l'auteur. J'ai lu pour la première fois Le Rouge et le Noir à l'âge de dix-sept ans, et je l'ai lu dans ma chambrette du collège des jésuites où j'étais interne, à la lampe de poche, recroquevillé sous mes draps, car, faut-il le rappeler aux plus jeunes, à l'époque l'oeuvre de Stendhal était mise à l'Index des ouvrages interdits par l'Eglise, et être surpris à en lire un vous condamnait au renvoi immédiat. Inutile de dire que je fus tout de suite enthousiaste et passionné par les aventures de Julien Sorel, un enthousiasme et une passion que je n'ai plus retrouvés  lors de lectures plus tardives, même parfois récentes, comme celle que je viens de faire, ce qui me permet de dire qu'il faut lire Stendhal quand on est jeune, entre seize et vingt-cinq ans, qui sont des âges de découverte de la passion, de l'amour qui sont au coeur des romans de Stendhal, (si on n'a pas rêvé d'héroïsme à dix-huit ans, on sera vieux à quarante, dit-on ). Plus tard on jette un regard différent sur ces oeuvres, car on a perdu cette fraîcheur, cet esprit de conquête amoureuse, cette passion, cette soif d'héroïsme qui font tout le charme d'un Julien Sorel ou d'un Fabrice del Dongo, on les analyse avec un regard plus froid, plus posé, la raison l'emportant sur la passion, l'intelligence sur le coeur. L'admiration est toujours aussi grande, mais plus raisonnée: Julien Sorel et Fabrice del Dongo apparaissent alors non plus comme des êtres issus tout droit du romantisme d'un Atala *, mais comme les successeurs d'un Valmont, Stendhal étant plus proche de Choderlos de Laclos que de Balzac ou de Victor Hugo. Car contrairement à ce qu'on dit ( et je lisais tout à l'heure sur l'article "Stendhal" de Wikipédia qu'on y traitait l'auteur du Rouge et le Noir non seulement de "romantique", ce qui est faux, mais pire encore, de "réaliste"), les personnages de Stendhal agissent comme des êtres du temps des "Lumières", avec ce mélange de cynisme et de passion, d'élégance et d'héroïsme, propre aux jeunes aristocrates de l'Ancien Régime. Il y a du Byron dans Julien et dans Fabrice, mais un Byron qui se serait frotté aux jeunes dandys de la cour de Louis XV. La sympathie que l'on ressent pour l'homme Stendhal tient à la distance qui sépare l'homme d'une oeuvre qu'il a conçue comme une sorte de seconde vie, une vie qui lui était refusée pour mille et une raisons qui font que le rêve, celui de la beauté, du succès auprès des femmes, de la fortune, de la brillante carrière, de l'héroïsme, se brise ou ne se réalise pas, l'oeuvre étant alors l'ultime jouissance de ce qui n'adviendra jamais. Il y a là quelque chose de particulièrement émouvant, qui fait partie de notre existence, qui nous rend l'auteur tellement proche et qui me permet d'affirmer qu'on peut "admirer" Flaubert, mais qu'on "aime" Stendhal. Le regard qu'on jette sur son oeuvre évolue avec le passage du temps, et des âges, il passe de la passion à l'émotion, de l'enthousiasme à la nostalgie! Car c'est toujours avec un brin de mélancolie qu'on tourne la dernière page d'un roman de Stendhal!

* Héros du roman éponyme de Chateaubriand.

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