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Carnets d'automne
13 février 2013

Port-Royal, tragédie en 3 actes!

Port-Royal

Il a suffi de la publication par Flammarion d'une magistrale anthologie consacrée à Port-Royal pour faire revivre ce qui fut un des grands drames de l'histoire religieuse de la France. Un drame, ou plutôt une tragédie qui se déroula en trois actes. Premier acte: 1656, Antoine Arnauld, ce brillant magistrat issu d'une illustre famille de la robe, protecteur du monastère de Port-Royal dont Angélique Arnauld est abbesse, est condamné par la Sorbonne pour ses écrits qui réfutaient le "molinisme" et ses penchants au libre arbitre, mouvement soutenu et encouragé par les jésuites, ce qui leur vaudra, en réponse, les Provinciales de Pascal, cruelle et ironique attaque contre l'ordre d'Ignace de Loyola qui fit beaucoup pour la renommée du monastère de Port-Royal. Deuxième acte: 13 avril 1661, le pape Alexandre VII condamne par un Formulaire les 5 propositions de l'Augustinus de l'évêque d'Ypres, Jansénius, considérées comme hérétiques. Ce Formulaire, tout le clergé de France devait le signer, les moniales de Port-Royal refusent de le faire, elles sont opposées, non au "droit", mais au "fait", elles reconnaissent que le contenu est hérétique (le "droit")  mais ne considèrent pas qu'il soit prouvé que l'oeuvre de Jansénius les contient ( le "fait"). Devant leur acharnement à refuser cette signature imposée par le pouvoir royal et par le pape, Louis XIV décide d'agir, il refuse au monastère de Port-Royal des Champs d'encore accepter des moniales, ce qui le condamne à plus ou moins longue échéance, puis il soumet le monastère à l'autorité de Port-Royal de Paris, ce qui le prive de toute ressource. Troisième acte: 29 octobre 1709, les dernières moniales sont expulsées et envoyées dans différents monastères, les tombes du cimetière sont retournées, et dans de véritables scènes d'horreur, les corps de plus de 3000 tombes jetés dans une fosse commune proche du village. Enfin, en 1713, les bâtiments du monastère sont rasés jusqu'aux fondations. Point n'est besoin d'être croyant pour se passionner pour ce drame qui, peu de temps après la "Révocation de l'Edit de Nantes", constitue un des grands moments de la persécution religieuse en France, en ce cas des protestants et de tout ce qui pouvait leur être associé. Or, le "Jansénisme", s'il est d'essence catholique, par son interprétation très stricte de la grâce et du salut - se basant sur les textes de Saint Augustin, Jansénius prônait et opposait la "grâce efficace", c'est à dire le salut de l'homme, dénaturé par le péché originel, ne dépendant que de la volonté de Dieu, une sorte de grâce réservée qui est proche de la prédestination protestante, à la "grâce suffisante", par laquelle il était donné à l'homme une part de libre arbitre pour se sauver, c'est la grâce que défendaient le "molinisme" et les Jésuites, ce que leur reprochaient les jansénistes, opposés à la casuistique des Jésuites - s'écarte dangereusement du dogme officiel pour une Eglise tétanisée par la Réforme.

Port-Royal des ChampsEn fait, si Port-Royal fut victime du pouvoir royal, c'est moins pour cette déviation du dogme, qui laissait le Roi-Soleil indifférent, si ce n'est qu'il ne pouvait admettre une rupture de l'unité religieuse de la France, qui fut une politique constante du pouvoir, mais c'est aussi, et peut-être surtout que les jansénistes, que ce fussent les "solitaires" qui faisaient retraite au monastère - ils comptaient parmi l'élite du royaume, on y trouvait, outre la dynastie des Arnauld, Pascal, Racine, et nombre de grandes dames de la cour - ou les moniales acharnées à défendre leur conscience, il les considérait, pour la rigueur de leur morale, pour l'ascétisme qu'ils pratiquaient dans leur vie quotidienne, comme un vivant reproche aux fastes de la cour de Versailles et au dérèglement des moeurs qui y régnait. L'anthologie de Laurence Plazenet, après une passionnante présentation historique et philosophique de l'origine du drame qui allait se jouer, nous présente toute une série de textes de l'époque - lettres, récits, programmes religieux - qui nous permettent de nous replonger dans ce qui fut un des grands moments de la pensée religieuse en France. Textes de moniales d'une puissance et d'une intelligence qui réduisent à néant l'impatience, l'agacement qu'on pourrait ressentir face à un entêtement qui va jusqu'à la furie, textes écrits dans une langue superbe, qui est celle du Grand Siècle, récits qui nous découvrent, avec un réalisme qui donne froid dans le dos, les horreurs qui furent commises lors des exhumations, méditations et exercices religieux d'une intensité qui souligne la Foi profonde de ces moniales farouchement attachées à leur liberté de conscience, autant de témoignages de l'acharnement de la puissance royale contre une pensée qui non seulement menaçait jusqu'aux fondements de l'absolutisme, mais qui mettait en danger l'unité de l'Eglise par ses exigences morales et une intransigeance qui devaient fatalement, un jour ou l'autre, en écarter la masse des fidèles, une pensée qui ne devait d'ailleurs résister ni aux débauches de la Régence ni à la primauté de la Raison défendue par les "Lumières"! Un grand moment de la pensée et de la culture occidentales superbement illustré par cette brillante et passionnante anthologie.*

Flammarion* Pour en savoir plus sur le jansénisme, on ne peut que conseiller la lecture de L'Eglise des temps classiques- Le Grand Siècle des âmes" de Daniel-Rops, volume qui fait partie de sa monumentale "Histoire de l'Eglise" en plusieurs volumes parue dans le cadre des "Grandes Etudes Historiques" chez Arthème Fayard en 1958; volumes qu'on ne peut plus trouver que chez des bouquinistes.

 

 

 

 

 

 

"Port-Royal" Anthologie présentée par Laurence Plazenet   FLAMMARION 1322p. 29€

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