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Carnets d'automne
3 avril 2013

Madame Roland et madame de Genlis, mémoires!

Madame Roland

Quand, en juin 1793, madame Roland, née Jeanne-Marie Phlipon, est arrêtée et internée à la prison de Sainte-Pélagie, elle commence à écrire ses mémoires, Mémoires particuliers, ou plutôt des "confessions", inspirées de l'oeuvre éponyme de Jean-Jacques Rousseau qui était l'écrivain qu'elle estimait le plus et qui fut son modèle en écriture. Bien décidée à ne rien cacher de sa jeunesse - y compris, et l'on songe évidemment au même genre d'évènement que révéla  Rousseau, les attouchements d'un garçon d'atelier - elle nous guide dans ce long cheminement autobiographique qui nous dévoile la lente maturation d'une personnalité hors du commun. Fille d'un couple de petits-bourgeois parisiens (1), son père était graveur, elle prend très tôt en mains une éducation intellectuelle qui n'était guère réservée aux filles de son époque, en même temps qu'elle prend conscience des inégalités sociales et de la vanité des classes aristocratiques. Ses lectures de Diderot, de Voltaire, d'Helvetius, de Rousseau et d'autres philosophes, lui inculquent les idées révolutionnaires qui feront très vite d'elle une ardente partisane d'un régime républicain. Son intelligence, sa vaste culture littéraire et philosophique, la mettent en relation avec les élites intellectuelles de son temps, mais c'est au niveau des "offices" des domestiques qu'elle est reçue dans le monde aristocratique, ce qui exacerbera encore son républicanisme. Très jeune encore, elle a quatorze ans, elle a le secret dessein de se consacrer à la vie religieuse, vocation qui ne durera qu'un an, une année passée en tant que pensionnaire dans un couvent d'où elle ressort guérie de ce dessein; elle le dira elle-même dans ses mémoires, elle passe alors de la foi catholique au jansénisme, du jansénisme au déisme et enfin du déisme à l'athéisme. Mais c'est son mariage avec Jean-Marie Roland de La Platière qui lui permet de mettre en valeur et de confronter à l'aune de la réalité la plus exigeante ses immenses qualités intellectuelles et morales. Epouse de celui qui fut alors ministre de l'intérieur de la Convention, elle reçoit au ministère tout ce que la jeune république compte d'autorités politiques et intellectuelles: elle y reçoit Pétion, Robespierre entre bien d'autres. Mais le vent tourne très vite dans la jeune république, les Girondins, dont son époux fait partie, sont accusés de trahison par Danton et par les Montagnards. Au lendemain de l'exécution de Louis XVI, que Roland désapprouve, et à la suite de laquelle il démissionne et prend la fuite, madame Roland est arrêtée avec tous les Girondins. C'est au cours de ses six mois d'emprisonnement, à Sainte-Pélagie, puis à la Conciergerie, qu'elle écrira ces mémoires régulièrement entrecoupées de cris d'horreur et d'indignation face à la Terreur qui ensanglante la France. Mémoires d'une étonnante sincérité, qui nous permettent de suivre l'évolution d'une femme très tôt décidée à prendre son destin en mains, un destin qu'elle voyait intimement lié à la transformation radicale d'une société exsangue, épuisée par un modèle social d'autant plus injuste qu'il faisait la part belle à une classe sociale vaniteuse, paresseuse et arrogante, qu'elle avait eu tout loisir d'observer de près. Un destin qui la mènera à la mort: en novembre 1793, madame Roland monte sur l'échafaud!

Madame de Genlis

Le destin de madame de Genlis se situe à l'opposé de celui de l'héroïne révolutionnaire, et constitue l'autre face de la Révolution Française lue dans ses classes sociales. Née dans le grand monde aristocratique, maîtresse du duc d'Orléans, puis gouvernante de ses enfants, elle est une pédagogue unanimement reconnue en même temps qu'une auteure de romans, de pièces de théâtre, de poésies et de mémoires prolifique. Lorsqu'elle publie Les souvenirs de Félicie L...la révolution est passée, et c'est principalement pour les émigrés de retour au pays qu'elle compose ce recueil fait d'anecdotes qui ressuscitent l'Ancien Régime par ce qu'elles ont de spirituel, de cruel et de léger à la fois - Madame de Boigne, dans ses Souvenirs d'une tante, que Proust admirait beaucoup et dont il s'est souvent inspiré pour décrire ses personnages du Faubourg Saint-Germain, a écrit dans le même esprit - qui nous fascinent aujourd'hui encore par ce qu'ils nous dévoilent de l'esprit et de la situation sociale d'une époque que nous ne connaissons généralement que par l'histoire politique. Ainsi cette étonnante anecdote qui nous le révèle tellement bien: lorsqu'on lui demande ce qui lui a paru le plus dur lorsqu'elle fut entrée chez les carmélites après avoir connu les fastes de Versailles, Madame Louise, la plus jeune fille de Louis XV, répond que c'est de descendre les étroits escaliers du couvent, ce qu'elle fait assise, prise de vertige, elle qui n'avait jamais descendu les vastes escaliers de marbre du château de Versailles que soutenue par un de ses officiers ou de ses pages. Madame de Genlis, fidèle en cela à sa classe sociale, déteste les philosophes, et Voltaire en particulier, elle s'indigne de leur athéisme. Sa visite au propriétaire de Ferney, un véritable morceau d'anthologie, en dit long: " Quand il n'est question ni de la religion, ni de ses ennemis, sa (celle de Voltaire) conversation est simple et naturelle, sans nulle prétention, et par conséquent ( avec un esprit tel que le sien) parfaitement aimable: il m'a paru qu'il ne supportait pas que l'on eût, sur aucun point, une opinion différente de la sienne; pour peu qu'on le contredise, son ton prend de l'aigreur et devient tranchant; il a certainement beaucoup perdu de l'usage du monde qu'il a dû avoir, et rien n'est plus simple: depuis qu'il est dans cette terre, on ne va le voir que pour l'enivrer de louanges, ses décisions sont des oracles, tout ce qui l'entoure est à ses pieds; il n'entend parler que de l'admiration qu'il inspire, et les exagérations les plus ridicules dans ce genre ne lui paraissent maintenant que des hommages ordinaires. Les rois mêmes n'ont jamais été les objets d'une adulation si outrée, du moins l'étiquette défend de leur prodiguer toutes ces flatteries, on n'entre point en conversation avec eux, leur présence impose silence, et, grâce au respect, la flatterie, à la Cour, est obligée d'avoir de la pudeur, et de ne se montrer que sous des formes délicates. Je ne l'ai jamais vue sans ménagement qu'à Ferney; elle y est véritablement grotesque; et lorsque, par l'habitude, elle peut plaire sous de semblables traits, elle doit nécessairement gâter le goût, le ton et les manières de celui qu'elle séduit. Voilà pourquoi l'amour-propre de M.de Voltaire est singulièrement irritable, et pourquoi les critiques lui causent ce chagrin puéril qu'il ne peut dissimuler". (2) Madame de Genlis ne cache pas sa désapprobation envers les philosophes et ce qu'elle leur reproche d'avoir provoqué:  rien de moins que la Révolution Française. Alors que madame Roland regardait vers l'avenir, madame de Genlis était une passéiste nostalgique d'une époque qui n'était plus mais qu'elle nous fait découvrir grâce à son talent d'observatrice minutieuse d'une société et d'une classe sociale  qu'elle fait revivre, mieux peut-être que les historiens, par cette suite de portraits et d'anecdotes qui en disent long sur un monde abhorré et condamné par sa lointaine collègue en écriture.

"La fabrique de l'intime. Mémoires et journaux de femmes du XVIIIe siècle"  Catriona Seth   ROBERT LAFFONT-BOUQUINS  1194p. 30€

(1) " Née dans un état obscur, mais de parents honnêtes, j'ai passé ma jeunesse au sein des beaux-arts, nourrie des charmes de l'étude, sans connaître de supériorité que celle du mérite, ni de grandeur que celle de la vertu". ( op.cité p.503)

(2) op.cité p.437

L'anthologie comprend, outre les mémoires des dames dont il est question dans ce billet, des textes d'autres dames du siècle, dont, parmi elles, celles de madame de Staal, dame de compagnie de la duchesse du Maine, de Suzanne Necker, de Germaine de Staël, d'Isabelle de Bourbon-Parme etc...

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