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Carnets d'automne
29 avril 2013

De Lampedusa à Toledano: la fin d'un monde!

Casablanca

Le prince Fabrizio Corbera de Salina, héros du roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Le Guépard, est resté dans l'histoire de la littérature comme le modèle du témoin par excellence de la fin d'un monde, dans ce cas, celui de la vieille aristocratie sicilienne dont le pouvoir millénaire va disparaître suite à la conquête victorieuse des garibaldiens, conquête que suit la prise du pouvoir par une bourgeoisie active, ambitieuse, matérialiste, qui, se liant un temps à l'aristocratie, finira par la dévorer, elle et ses vieux principes de solidarité, d'honneur et de grandeur. Dans le roman de Ralph Toledano, Un prince à Casablanca, ce n'est pas un prestigieux représentant d'une aristocratie millénaire qui voit s'effondrer une société qu'il imaginait éternelle dans sa hiérarchie et dans ses conventions, mais le patriarche d'une toute aussi ancienne caste, celle des Sépharades réfugiés au Maroc depuis l'expulsion des Juifs d'Espagne en 1492, et, pour certains, installés en Afrique du Nord bien avant les Arabes. Semtob, le patriarche, est une autorité à Casablanca, il est en quelque sorte le protecteur officieux de la communauté juive du lieu. Homme cultivé, éduqué dans la culture française, immensément riche, il défend la tradition juive de partage et de fraternité au sein de la diaspora locale. Mais l'attentat contre le roi Hassan II en juillet 1971, lors d'une réception au palais royal de Skhirat, où Semtob est présent et dont il sort miraculeuisement indemne, annonce des temps difficiles, le bouleversement d'une société post-coloniale dans laquelle prospérait cette communauté qui se sentira de plus en plus menacée, à la fois par la montée de l'islamisme et par les chants de sirène de la Terre Promise, Israël, qui tente de plus en plus les jeunes générations. Semtob voit s'écrouler lentement, jusque parmi ses proches, un monde basé sur la culture traditionnelle. Il mourra avant d'en subir les conséquences, mais ses enfants se disperseront à travers le monde, abandonnant à tout jamais le luxe raffiné, l'élégance, le confort de la superbe "Villa des îles". Ce roman, le premier de cet auteur de 60 ans, historien d'art, fascine à la fois par son sujet - j'ai toujours été attiré par les "décadences", périodes passionnantes, qui ont beaucoup de choses à nous dire, dans le domaine des arts notamment, on pense à la période hellénistique, qui est celle du "Laocoon", aux dernières années de l'Empire de Byzance, à l'Ancien Régime des Bourbons, et plus près de nous, à la République de Weimar - et par le raffinement de sa pensée et de son style. Toledano est aussi un amoureux de la vie, ses pages regorgent de descriptions d'une rare sensualité: celle de la nature somptueuse dans laquelle se blottit la "Villa des îles" , des dunes dorées qui bordent la plage de Mogador, du vent tiède qui fait se gonfler les cabines en toiles bleue et blanche des riches estivants, vision qui nous plonge en d'autres lieux littéraires, tel le Cabourg  proustien, des fleurs, des arbres, du parfum des mets traditionnels, d'une riche variété de goûts et de couleurs, ou de la cire qui recouvre les beaux meubles de Ruhlmann... l'esprit de Proust et de Colette ne cesse de planer sur cette oeuvre somptueuse, étonnante, et tout à fait exceptionnelle pour un premier roman. Je ne lis habituellement que peu de premiers romans, car j'estime que le livre est comme un bon vin: il faut le laisser vieillir, laisser au nouvel auteur le temps de mûrir, de produire un second ou un troisième roman, à partir desquels je m'intéresse à lui - tant de prix littéraires restent sans lendemain  - et si j'ai fait une exception, c'est que le roman de Toledano, découvert grâce au bouche à oreille, ce qui est souvent le cas pour les bons romans, ceux qui vous étonnent et vous procurent joie et émotion, est exceptionnel!

" Un prince à Casablanca" Ralph Toledano  LA GRANDE OURSE 436p. 25€

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