Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Carnets d'automne
23 mai 2013

Chateaubriand: "La vie de Rancé"

chateaubriand

C'est en 1844, soit quatre ans avant sa mort, que Chateaubriand écrivit La vie de Rancé. On a dit qu'il l'écrivit sur ordre de son confesseur, en guise de pénitence, ce qui n'est pas impossible au vu du caractère particulier de cette oeuvre qui apparaît, en effet, comme une sorte d'ultime réflexion - à propos de la biographie d'un homme, Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, avec lequel Chateaubriand ressentait très peu d'affinités - sur la vie et sur la mort, sur le temps qui passe, sur l'ennui que génère la vieillesse, et sur la vanité des choses. "Vanité, tout n'est que vanité" aurait pu servir d'épigraphe à cette oeuvre qui se veut plus une méditation sur la vie et sur la mort qu'une biographie, et c'est dans cet esprit qu'elle constitue en quelque sorte le point final au grand oeuvre de Chateaubriand que constituent ses Mémoires d'outre-tombe. Ce qui a fasciné Chateaubriand dans l'existence de cet être excessif que fut Rancé, c'est la rupture qui advint au milieu de la vie de ce jeune aristocrate de haute naissance, promis à une brillante existence, lorsqu'au retour d'une chasse, il découvrit le corps de sa maîtresse, la duchesse de Montbazon, dont la tête, coupée afin de faire entrer le corps dans son cercueil, était déposée à côté de celui-ci. Du jour au lendemain, Rancé décida de se consacrer à Dieu. Il vendit ses propriétés, tous ses biens, et se consacra au relèvement de l'abbaye de La Trappe dont il devint l'abbé, imposant à la communauté monastique la "stricte observance". L'ouvrage, divisé en quatre livres, suit à peu près l'ordre chronologique de la vie de Rancé: sa vie mondaine, qui nous permet de découvrir ce que fut l'univers des "Précieuses ridicules", son engagement monastique, sa vie à La Trappe et sa mort. S'il ne partage pas les excès de Rancé dans son engagement envers Dieu, son refus de toute vie intellectuelle, le mépris du corps et de la vie, Chateaubriand ne peut s'empêcher de considérer cette existence hors du commun comme exemplaire de la vanité de la vie humaine, existence transcendée, dans le cas de Rancé, par un mépris total envers elle; cette renonciation à la vie, à l'ennui qu'elle peut générer, à la vieillesse qui la clôture immanquablement, qui est le thème fédérateur des oeuvres de mémoire de Chateaubriand, se devait de rapprocher ces deux êtres exceptionnels. La vie de Rancé, par-delà son intérêt historique, sous la plume de Chateaubriand devient exemplaire de toute destinée humaine, marquée par cette obsession de la vanité de la vie dont est profondément imprégné l'auteur des Mémoires d'outre-tombe.

220px-Armand_Bouthillier_Rance

On est certes loin, avec La vie de Rancé, des oeuvres romanesques, monuments du romantisme littéraire, que furent Atala ou René, mais le style est celui des Mémoires d'outre-tombe, un des plus beaux moments de la langue française. Chateaubriand, comme dans ses mémoires, y voyage du passé au présent, l'un étant chargé d'éclairer l'autre, ainsi les étangs de La Trappe nous ramènent-ils aux bruyères de Combourg, et Louis XIV au roi détrôné Charles X ( Chateaubriand, dans un texte sublime de mélancolie, a raconté dans ses Mémoires d'outre-tombe la visite qu'il lui fit au château de Prague). Ce voyage dans le passé est aussi l'occasion pour l'auteur de tracer quelques portraits, souvent piquants, sinon cruels, des contemporains de Rancé, telle la marquise de Sévigné: "Mme de Sévigné baisse, parce que ses espérances diminuent. Légère d'esprit, inimitable de talent, positive de conduite, calculée dans ses affaires, elle ne perdait de vue aucun intérêt, et elle avait été dupe des intentions testamentaires qu'elle supposait au coadjuteur".(1) Il s'agit du cardinal de Retz, dont Chateaubriand trace par ailleurs un portrait mémorable: " C'est l'idole des mauvais sujets. Il représentait son temps, dont il était à la fois l'objet et le réflecteur. De l'esprit comme homme, du talent comme écrivain ( et c'était là sa vraie supériorité), l'ont fait prendre pour un personnage de génie. Encore faut-il remarquer qu'en qualité d'écrivain il était court comme dans tout le reste: au bout des trois quarts du premier volume de ses Mémoires, il expire en entrant dans la raison {...} Le coadjuteur finit ses jours en silence, vieux réveil-matin détraqué. Réduit à lui-même et privé des événements, il se montra inoffensif: non qu'il subît une de ces métamorphoses avant-coureurs du dernier départ, mais parce qu'il avait la faculté de changer de forme comme certains scarabées vénéneux {...} Uniquement épris de sa personne, il ne se rappelait que le rôle qu'il avait joué, sans s'embarrasser de sa vie morale. Il inspectait les lambeaux de ce qu'il fut pour se reconnaître; il éventait ses iniquités, afin de se former une idée semblable de lui-même; puis il venait écrire les scandales de ses souvenirs. En l'exhumant de ses Mémoires on a trouvé un mort enterré vivant qui s'était dévoré dans son cercueil". (2)Ces portraits, comme le tableau qu'il peint de la société dans laquelle se déroule l'existence de Rancé, qui est celle du Grand Siècle, donnent de la couleur et de la vie à une biographie qui se veut austère, à l'image de son modèle, l'abbé de Rancé, dont les exigences morales et le mépris de la vie effrayèrent ou scandalisèrent ses contemporains.

"La vie de Rancé" Chateaubriand   Préface de Roland Barthes. 10/18 184p.

(1) et (2) op.cité p.95 & 96

Publicité
Publicité
Commentaires
Carnets d'automne
Publicité
Archives
Albums Photos
Visiteurs
Depuis la création 114 398
Carnets d'automne
Publicité