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Carnets d'automne
3 septembre 2013

Cocteau et Raymond Radiguet, une liaison fusionnelle!

Cocteau

Quand Cocteau et Radiguet se rencontrent à l'occasion d'un hommage à Guillaume Apollinaire, le jeune Radiguet a quinze ans et onze mois: " Calfeutré dans un long manteau couleur poil de castor où il semblait avoir passé la nuit, Radiguet avait fendu la foule pour lire au hasard, d'une voix sourde, des poèmes de Calligrammes, sans même lever les yeux du papier, avant de repartir seul, en somnambule, vers la nuit." (1) Cette rencontre ouvre la voie à ce qui constituera une des plus courtes, mais aussi une des plus fusionnelles liaisons de toute l'histoire de la littérature. Cocteau, fou amoureux du jeune écrivain en herbe qui a déjà entamé l'écriture de ce qui deviendra un énorme succès de librairie, Le diable au corps, se posera en Pygmalion littéraire du jeune Radiguet, à défaut d'en faire son amant, car Cocteau " se résigna à vivre seul avec son sentiment - je t'aime; est-ce que cela te regarde? disait Goethe - et se déguisa en père, en mère, en pion ou en proviseur, pour ne pas avoir à  se dire amoureux". (2) Toute la passion de Cocteau se fixera donc sur le génie littéraire de son jeune protégé; il encouragera sans relâche Radiguet à écrire avec régularité, à simplifier son style, qui deviendra plus laconique et plus rythmé. C'est dans le second roman de Radiguet, Le bal du comte d'Orgel, que l'influence de Cocteau se fera sentir le plus. On a beaucoup ergoté sur les parts respectives du couple dans ce roman publié à titre posthume, on a parlé de plus de mille corrections et de l'amputation de neuf pour cent du texte, oubliant qu'un mois avant de mourir, Radiguet "avait parlé avec inquiétude à Grasset de l'état imparfait de son ouvrage (3). La conclusion de Claude Arnaud semble la plus raisonnable: " Si le roman que Radiguet projetait à l'origine était plus touffu , violent et désordonné que celui qu'on lit, ce dernier avait déjà assumé de son vivant des corrections importantes.Si le roman fut interprétré à quatre mains, le compositeur en était bien Radiguet." (4) Ce roman, qu'on a comparé aux Liaisons dangereuses de Laclos, clôtura la carrière littéraire trop brève du jeune talent, faudrait-il dire du jeune génie, dont Cocteau ne se consolera jamais de sa disparition. Cette liaison entre deux écrivains se caractérise, contrairement à d'autres, basées sur le sexe, par une émulation au niveau de l'intelligence de l'écriture, l'un et l'autre des comparses fusionnant dans un égal amour du texte littéraire, du style, de la poésie. En cela elle est unique. Ce qui n'empêcha pas Cocteau, par sa fréquentation du grand monde aristocratique, de façonner un Radiguet sauvage en jeune bourgeois portant monocle et frac, aussi à l'aise avec Marie-Laure de Noailles qu'avec le comte de Beaumont; la fusion se faisait dans tous les domaines!

Radiguet

C'est d'ailleurs en cela qu'elle se différencie d'une autre liaison célèbre, celle qui lia Gide à Marc Allégret. Liaison amoureuse dans laquelle le sexe joua une part importante, même si Marc Allégret, à l'égal de Radiguet, était plutôt un homme à femmes, prenant plaisir, si l'occasion se présentait, à boire à toutes les coupes. Mais Allégret, contrairement à Radiguet, n'était pas un écrivain - sa pauvre orthographe dans ses lettres à Gide prouve son inculture littéraire - il se dirigera d'ailleurs vers le cinéma, Gide se posant plutôt en Pygmalion moral, ce qui était tout à fait dans ses cordes, plutôt qu'en maître en littérature. Là où Gide rejoint Cocteau, c'est dans la jalousie que l'un et l'autre ressentirent à voir leurs amants se détacher de leur présence, prendre leur indépendance, se forger une existence à eux, fût-elle marquée à tout jamais par leurs maîtres. Cocteau eut la chance, si l'on peut dire, de voir son jeune amant mourir à vingt ans, de ne plus connaître les affres de l'absence, du mensonge, de la jalousie et de l'inquiétude qui lui est associée, de vivre dans le chagrin d'un départ définitif qui lui permettait de situer son jeune amant au niveau des dieux de l'Olympe et des héros de la Grèce antique dont il ne cessa de nourrir son imagination. Par sa disparition prématurée, Radiguet  se métamorphosait en Orphée!

 

 

" Jean Cocteau" Claude Arnaud  BIOGRAPHIES nrf GALLIMARD 864p. 35€

(1) p.213

(2) p.221

(3) p.321

(4) p.322

A lire également  " Raymond Radiguet - Oeuvres complètes" Chloé Radiguet et Julien Cendres  OMNIBUS   et  "Lettres retrouvées de Raymond Radiguet" Chloé Radiguet et Julien Cendres  OMNIBUS.

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Commentaires
C
Monsieur mon Ami que je croyais perdu, vous voici donc retrouvé, tel qu'en vous-même et apparemment parfaitement intact dans votre art de chroniquer les oeuvres d'écrivains morts. Je suis comme d'habitude extrêmement pressée, mais je reviendrai avec du thé vert et du massepain, comme il se doit.<br /> <br /> C
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