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Carnets d'automne
27 janvier 2014

Sade, "Les 120 journées de Sodome"

vanlooCet ouvrage, qui est, avec La philosophie dans le boudoir et L'Histoire de Juliette , le chef-d'oeuvre du marquis de Sade, plonge le lecteur dans une insoutenable atmosphère, qui est celle régnant dans une société fermée de quatre libertins qui refusent toute distinction entre le bien et le mal, toute loi naturelle qui pourrait entraver le plaisir de l'être considéré comme singulier, un être qui refuse toute entrave à la volupté, à ses plaisirs, à la satisfaction de ses désirs, et ce au mépris de la dignité et de la vie humaines. On a vu dans cette oeuvre, publiée plus d'un siècle après la mort de son auteur *, une sorte d'abîme* creusé en plein milieu du Siècle des Lumières, siècle de la Raison par excellence, qui ouvrirait le chemin aux romans noirs du romantisme naissant. Si on a souvent insisté sur le côté érotique et "sadique" de cette oeuvre, c'est la philosophie que Sade y défend, qui aujourd'hui sent le soufre. Le"Divin marquis" y prêche un athéisme radical, qui, dépasse, et de loin, dans sa rigueur et dans son insolence, l'athéisme, mâtiné de déisme, des philosophes de son temps; mais c'est par sa conception de la morale, basée sur la satisfaction du désir, niant toute charité, toute reconnaissance, tout respect de la vie humaine: "La vie d'un homme est une chose si peu importante que l'on peut s'en jouer tant que cela plaît, comme l'on le ferait de celle d'un chat ou de celle d'un chien" (1) "Il est incroyable à quel point l'homme, déjà reserré dans tous ses amusements, dans toutes ses facultés, cherche à restreindre encore les bornes de son existence par ses indignes préjugés. On n'imagine point, par exemple, où celui qui érige le meurtre en crime a limité tous ses délices; il s'est privé de cent plaisirs, plus délicats les uns que les autres, en osant adopter la chimère odieuse de ce préjugé-là. Juste ciel! avide de meurtres et de crimes, c'est à les faire commettre  et à les inspirer que la nature met sa loi, et la seule qu'elle imprime au fond de nos coeurs est de nous satisfaire aux dépens de qui" (2) qu'il peut choquer profondément le lecteur d'aujourd'hui, plus peut-être que par cette longue litanie, sous forme de sinistre catalogue d' orgies, de crimes et de tortures qui font l'essentiel d'une oeuvre qui débute comme un roman historique, avec une allusion au règne de Louis XIV, pour évoluer, lors de la première partie, en une suite de récits censés illustrer la satisfaction, par un quatuor de libertins, d'une volupté qui ne connaît pas de limites. On a dit que l'oeuvre n'avait pas été terminée, et pour le dire, on se base sur les trois dernières parties qui se limitent, dans la description de tortures et d'orgies de plus en plus sanglantes, à de courtes phrases. Annie Le Brun, dans son passionnant essai cité en note, conteste cette interprétation, considérant au contraire que cette accélération du rythme, qui fait se terminer l'oeuvre par une sinistre addition des morts et des survivants, plonge le lecteur dans une angoisse qu'augmente encore le "gaze" jeté sur bien des détails des tortures ou des crimes sexuels, le marquis laissant à l'imagination du lecteur le soin de compléter ce qu'il ne fait que suggérer. Suite à la lecture de cette première oeuvre de Sade, me vient une question: Pourquoi? Pourquoi Sade s'est-il lancé dans cette oeuvre provocante, immorale, si jugée à l'aune de la morale naturelle?  A t-il voulu, par cette exposition d'un libertinage sans limites, compenser par l'imagination ce que ce libertin se voyait refusé à lui-même durant ses nombreuses années de prison? A t-il voulu dénoncer l'hypocrisie d'une société aristocratique contemporaine débauchée - les courtisans de Versailles s'adonnaient en toute impunité au libertinage - qui "sauvait la face" pour le grand public, ou a t-il voulu, en poussant jusqu'à ses limites les excès du libertinage, illustrer ainsi sa philosophie de la vie, basée sur le singulier de chaque être humain, sur la satisfaction du désir, de la volupté, dans des limites que son texte dépasse, il l'a dit et répété: "Oui, je suis libertin, je l'avoue; j'ai conçu tout ce qu'on peut concevoir dans ce genre-là, mais je n'ai sûrement pas fait tout ce que j'ai conçu et ne le ferai sûrement jamais. Je suis un libertin, mais je ne suis pas un criminel ni un meurtrier", et sur le respect de celui qui est "différent": " L'homme est-il le maître de ses goûts? Il faut plaindre ceux qui en ont de singuliers, mais ne les insulter jamais; leur tort est celui de la nature; ils n'étaient plus les maîtres d'arriver au monde avec des goûts différents que nous ne le sommes de naître ou bancals ou bien faits" ("La philosophie dans le boudoir"), se dévoilant ainsi, dans sa défense de la singularité de tout être humain,  un homme d'une étonnante tolérance? La réponse, chaque lecteur la trouvera dans son interprétation d'un texte d'une violence inouïe, mais qui à la , ou aux relectures, apparaît bien plus profond et bien plus riche qu'un banal catalogue de libertinages! 

 

* L'ouvrage a été composé, c'est Sade qui le note lui même en conclusion du texte, le 22 octobre 1785, et fini en trente-sept jours. Ecrit sur un étroit rouleau de plus de 12m de long, il fut abandonné dans sa cellule de la Bastille lorsque Sade en fut tiré pour être interné à Charenton. Retrouvé après le pillage de sa cellule, suite à la prise de la Bastille, il disparut jusqu'au début du 20ème siècle. Edité pour la première fois par un amateur allemand dans les années 20, le rouleau est aujourd'hui mis en vente par ceux qui en ont hérité.La BNF est sur les rangs des acheteurs.

* "Soudain un bloc d'abîme, Sade "  Annie Le Brun  Tel Gallimard

(1) "Les 120 journées de Sodome" Sade -  Bibliothèque de La Pléiade GALLIMARD p. 283

(2) idem p.284

En cette année du bi-centenaire de la mort de Sade, bien des ouvrages sortiront au sujet du "Divin marquis". Sans les attendre, deux ouvrages essentiels s'imposent à tout lecteur soucieux de découvrir ou de mieux comprendre Sade:

- "Sade vivant" de Jean-Jacques Pauvert LE TRIPODE 1205p. 39,20€

Rappelons que Pauvert s'occupe de Sade depuis plus de soixante ans, que cela lui a valu bien des procès. L'ouvrage en question est une réedition, augmentée,  de celui paru chez un autre éditeur en deux volumes dans les années 80.

- "Les châteaux de la subversion" suivi de "Soudain un bloc d'abîme, Sade " d'Annie Le Brun  Tel Gallimard 633p.13,50€ Complément indispensable, et souvent cité, de l'ouvrage précédent.

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