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Carnets d'automne
3 mai 2019

Proust et le baron de Charlus.

Tout commence par une rencontre sur la digue de Balbec, celle du narrateur avec Madame de Villeparisis, accompagnée d'un neveu, homme élégant, hautain, qui lui tend la main avec raideur et comme avec dégoût, sans prononcer un mot ; tout se termine dans une rue de Paris, dans un fiacre au fond duquel, tassé sur lui-même, les cheveux gris, longs et mal coiffés, la barbe blanche, le regard absent, un homme se réveille pour saluer, d'un large coup de chapeau, une passante, Madame de Sainte-Euverte, que le baron de Charlus, car c'est de lui qu'il s'agit, n'a jamais voulu connaître ou se rendre à ses invitations.

Entre l'orgueil d'un grand aristocrate et l'humiliation d'un homme usé, toute une vie qui remplit « La Recherche » de ses aventures et de sa lente décrépitude.

Proust ne cache pas sa fascina tion pour le personnage qui symbolise toutes les facettes de l'amour, sous la forme de l'homosexualité, que le baron exhibe sans fard, et qui va de la passion pour un jeune et beau violoniste, Morel, aux amours tarifées dans les bordels pour hommes.

Appartenant à la plus haute noblesse française, frère du duc de Guermantes – au passage le narrateur de se moquer de Madame Verdurin qui, ignorant tout des titres nobiliaires, croit que Charlus, n'étant que baron, passe après le comte de Forcheville qui, pour le baron, n'est rien du tout,  car les grandes familles aristocratiques ont en réserve toute une série de titres dont ils disposent pour leurs cadets, et Charlus a choisi ce titre, d'apparence modeste, mais qui remonte aux temps les plus anciens, comme le duc de Guermantes, avant la mort du duc son père, était Prince des Laumes – Palamède de Charlus occupe une énorme situation mondaine dans le noble Faubourg Saint-Germain où il fait la loi en ce qui concerne les relations sociales, terrorisant ceux qui n'y obéissent pas. Cette situation, il n'hésitera pas à la mettre en danger par sa relation avec le jeune Morel, violoniste de talent, qu'il va imposer au Grand Monde. Cet amour est peut-être, bien plus que celui du narrateur pour Albertine, centré sur la jalousie et la curiosité obsessionnelle qu'elle éveille, l'évènement le plus noble et le plus finement analysé de ce roman où tout n'est que cynisme, superficialité, vulgarité de la pensée, bassesse de sentiments et décrépitude. Un amour dont le jeune Morel n'est d'ailleurs pas digne, car c'est un garçon veule – il désertera durant la guerre et se fera journaliste cancanier – qui profite des largesses du baron et de sa sensibilité pour le trahir, sans pour autant mettre fin à la passion du baron, prêt à tout pour se l'attacher.

Le personnage de Charlus, si on dépasse ce qu'il a d'agaçant par son orgueil d'aristocrate, est attachant par ce contraste entre la hauteur d'un homme influent par sa position sociale, et la sensibilité d'un amoureux pris d'une passion qui lui fera accepter les pires humiliations.

Proust a dû aimer le personnage, comme il a aimé Saint-Loup, mais celui-ci n'est que l'ombre de son oncle. On en veut pour preuve la scène la plus cruelle du roman, lorsque, à l'occasion d'une soirée organisée par madame Verdurin, celle-ci parvient à convaincre Morel de rompre avec le baron, ce qu'il fait en public, accompagnant cette rupture de graves accusations qui rendent le baron sans voix, comme frappé à mort par la perte de son grand amour. Une scène que Proust décrit non seulement avec son talent habituel d'observateur de l'âme humaine, mais, on le sent, avec une émotion et un sentiment d'amitié envers la victime qu'on ne trouve que rarement dans son roman.C'est peut-être pourquoi, même absent du récit, on sent la présence inquiétante du baron à toutes les pages du roman. Car l'ombre de Charlus plane sur toute « La Recherche ». Et c'est peut-être aussi de lui, avec ses qualités, bien réelles, ses vices et ses défauts, immenses, que Proust s'est reconnu le plus proche, et qu'il a reconnu en lui les effets du Temps qui passe.

 

 

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