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Carnets d'automne
1 août 2012

Bruges vue par Fernand Khnopff

                                                               Khnopff

Il est des tableaux qui par-delà leurs qualités artistiques vous marquent profondément par l'émotion qu'ils éveillent en vous, ce qui m'est arrivé récemment à propos d'un tableau découvert en feuilletant le catalogue d'une exposition * consacrée au grand peintre symboliste belge, Fernand Khnopff, tableau intitulé Une ville abandonnée*. Le tableau, en fait un pastel et crayon sur papier marouflé sur toile, représente un coin de la place Hans Memling à Bruges, une place qui existe encore aujourd'hui, quasiment telle que le peintre l'a représentée en 1904. Au fond du tableau, le couvent des Soeurs noires dont le peintre a muré portes et fenêtres, au milieu de la place, dont le pavement a été représenté pavé par pavé avec une minutie propre aux Primitifs Flamands, le socle de la statue de Hans Memling "qui fait penser à un mausolée blanc" (1) , "vraiment l'ombre d'un tombeau - sur la Place grise" telle que la décrit Georges Rodenbach dans un de ses poèmes, mais privé de la statue qui le surmonte, et, plus étrange encore, sur la droite s'étend à l'infini la mer, à la fois calme et menaçante, rappel de celle qui fut à l'origine de la prospérité de la ville et de son lent déclin après qu'elle se fut retirée du Zwin au XIVème siècle; ici encore, c'est Rodenbach qui nous évoque le mieux ce drame: "Cette mer du Nord est d'humeur fantastique. Elle a trahi Bruges [...] Elle a de soudains reculs, comme d'un grand amour qui se retire. La mer du Nord brusquement se retira...et Bruges, dorénavant éloignée de cette vaste mamelle de la mer qui avait nourri ses enfants, commença à s'anémier et depuis quatre siècles elle agonise". Une agonie qui durait encore à l'aube du XXème siècle, Bruges étant alors la ville la plus pauvre du petit royaume, une agonie qui faisait d'elle une ville morte *, dont Rodenbach chanta le silence qui y régnait et qui ne pouvait que plaire aux symbolistes, dans un beau roman qu'on ne lit plus guère aujourd'hui, à tort, Bruges-la-morte. Khnopff, qui était né à Bruges, et qui en appréciait le silence, et la mélancolie qu'inspiraient ses rues vides, ses canaux aux eaux stagnantes et tout ce passé glorieux qui ne cessait de mourir, a voulu faire de ce tableau un symbole de la fin de tous êtres et de toutes choses, immanquablement voués à la mort, dans une atmosphère de vide et de désolation. Ce tableau m'émeut par ce qu'il évoque: l'écoulement du temps, la mort lente d'un passé qui ne reviendra plus jamais, le silence et la solitude qui finissent par s'imposer...

* "Une ville abandonnée"  Fernand Khnopff   Pastel et crayon sur papier marouflé sur toile  76 x 69  Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique

"Fernand Khnopff" Exposition à Bruxelles, Salzbourg et Boston en 2004

* Bruges est aujourd'hui une ville prospère et dynamique, haut-lieu du tourisme de masse dont elle est la victime, ce que Khnopff et Rodenbach craignaient déjà à l'époque.

(1) Catalogue de l'exposition. Citation de Dominique Maréchal.

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Commentaires
J
Analyse très subtile.<br /> <br /> Par ailleurs, je vous signale bruges-la-morte.net
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