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Carnets d'automne
30 avril 2012

Bruce Chatwin, nomade ou vagabond?

Si l'on s'en tient aux définitions du dictionnaire, Chatwin est un vagabond, puisqu'il mène une vie errante, alors que le nomade se déplace en groupe sans habitation fixe, mais quel vagabond! On a du mal à le suivre, cet homme pour qui le monde est la banlieue de sa ferme de "Holwell Farm", dans le Gloucestershire: un jour à Kaboul, la semaine suivante à Athènes, après une halte à Patmos, puis le voilà à Lima avant de se retrouver au Cap Horn! On n'en revient pas de voir ce garçon qui n'a ni fortune, ni grand nom, ni diplôme, ni relations, se voir hébergé et accueilli par toute la jet-set anglo-saxonne qui lui ouvre ses luxueuses villas, que ce fût sur une île grecque, dans le Connecticut, à Marrakech ou à Lima. Chatwin a pour lui sa jeunesse et sa beauté et, ce qui est un atout supplémentraire dans le monde anglo-saxon très sophistiqué des riches mécènes et des artistes, son homosexualité. Ceci dit, il devait avoir beaucoup de charme, même s'il ne fut jamais flatteur ou courtisan, il fréquenta les Rothschild, mena à l'opéra de New-York Jacqueline Onassis en personne, fut l'ami du fils de Patino, le milliardaire de l'étain, et de bien d'autres, mais tout cela avec son sac à dos et ses bottines de marche prêtes pour le prochain départ, car Chatwin ne s'attardait jamais chez ses hôtes fortunés ou célèbres. Cette errance sans fin souligne l'instabilité et l'insatisfaction d'un Chatwin qui, dans la vie, et dans ses lettres, apparaît comme un être bien plus  fragile, aussi bien physiquement que moralement, qu'il ne se décrit dans ses récits. Le plus beau, le plus célèbre de ces récits, et sans aucun doute celui qui l'explique le mieux, c'est son En Patagonie.

                                              Bruce Chatwin 1

La critique n'a pas vraiment compris ce livre, le considérant comme un récit de voyage, alors qu'il s'agit de bien plus que cela, comme l'écrit Chatwin dans une lettre du 1 décembre 1977 adressée à Deborah Rogers: " Le livre est le récit d'un voyage réel et d'un voyage symbolique, utilisant, il faut le reconnaître, des symboles très concrets. La Patagonie est le point le plus éloigné que l'homme ait atteint à pied depuis ses origines: c'est donc un symbole de son besoin incoercible de se déplacer. Maurice Richardson l'a qualifiée de tremplin pour le vide." Ou encore, dans une lettre écrite le 18 juin 1978 à son ami indien Sunil Sethi: "Il va de soi que In  Patagonia n'est pas censé être un livre de voyage, mais seuls les critiques du Times Literary Supplement et toi eurent l'intelligence de s'en apercevoir, mais on m'a tellement rebattu les oreilles en me disant que c'était un livre de voyage que j'en suis presqu'arrivé à le croire - ou à croire que je n'avais pas atteint mon but, écrire un voyage allégorique sur ce schéma classique". "Tremplin pour le vide" me paraît une excellente définition de ce besoin constant de se déplacer que Chatwin a ressenti durant sa trop brève existence. Ses voyages peuvent être considérés comme des voyages initiatiques, à l'image de ceux des Années d'apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe, ou de ceux du Kerouac de On the road. Il y a quelque chose d'infiniment triste et de mélancolique dans cette poursuite du bonheur dans une solitude faite d'amours de rencontre, brèves et sans lendemain, qui auront finalement raison de sa vie. Ce choix de lettres, même si toutes n'ont pas le même intérêt, se lit comme le récit d'un voyage merveilleux, un voyage sans fin, qui vous mène, comme sur un tapis volant magique tout droit sorti des Mille et une nuits, des fjords solitaires et grandioses de Patagonie aux mosquées merveilleuses d'Ispahan en passant par les déserts d'Afghanistan; on y rencontre un tas de gens étonnants: artistes, milliardaires, amateurs d'art, avec lesquels Chatwin, qui fut un des spécialistes de la peinture impressionniste chez Sotheby's, partage une passion pour l'art, pour tout ce qui est à la fois curieux, énigmatique et d'une grande beauté. On referme cet énorme recueil de lettres avec une certaine nostalgie pour un monde qui n'est plus: celui des grands voyageurs solitaires, découvreurs de paysages, de peuples, de monuments, que leur éloignement et leur isolement, à une époque où les voyages étaient difficiles, rendait presque mythiques. 

"La sagesse du nomade"  Bruce Chatwin - Correspondance choisie et présentée par Elizabeth Chatwin et Nicholas Shakespeare - GRASSET

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